Zhao Shengquiang est un notable des temps nouveaux. Cet ancien entraîneur de basket-ball chinois est devenu commerçant, patron du plus gros magasin d’articles de sport de Tonghua, une bourgade industrielle de Mandchourie.
Zhao est aussi un honorable père de famille et un homme heureux. Heureux jusqu’à ce qu’il découvre qu’il y a vingt-et-un an, des bébés, dont le sien Zhao Da, ont été échangés à la maternité de Tonghua.
Zhao Da, brillant étudiant en droit et en informatique à l’université de Changchun, la capitale de la province de Jilin, a l’idée en ce mois de mars 2001 de donner son sang. Il apprend alors que son groupe sanguin est AB. Or, celui de ses parents est B. Cela faisait des années que Zhao père était effleuré par le doute : ancien basketteur, il mesure 1m80 alors que son fils est petit. Persuadé de l’infidélité de sa femme Gong Ke, Zhao propose que la famille se livre à un test ADN. De son côté, Gong Ke, aidée par ses parents, part en quête des dossiers de tous les bébés nés ce fameux 29 octobre 1981 à « l’hôpital du peuple » de Tonghua. Hélas, les archives de cette époque ont été détruites lors des inondations de l’été 1998. La seule information valable est fournie par la police : trente enfants sont nés à Tonghua le même jour. Mais nul ne sait si ils sont nés à « l’hôpital du peuple » ou dans les autres hôpitaux de la ville. Il faut donc partir à la recherche de toutes ces familles et les questionner. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin …
Gong Ke finit par se souvenir que ce 29 octobre, elle partageait sa chambre avec une certaine Li Aiye. Les deux femmes s’étaient même croisées par la suite, notamment à la sortie du collège. Li Aiye est l’épouse de Sun Huadong, un employé d’une centrale d’achats de fruits. La famille est très modeste et a fait de son mieux pour élever décemment Sun Chao, leur fils unique. Il est grand et excellent joueur de basket …
Les deux familles se retrouvent et acceptent de se soumettre à un test ADN. Anticipant un peu vite le résultat, ils envisagent d’habiter côte à côte, de fonder une communauté de deux familles.
Début 2002, les analyses ADN montrent que Sun Chao est bien le fils des Zhao, comme chacun le soupçonnait, mais que l’inverse n’est pas vrai : Zhao Da n’est pas le fils des Sun.
Les médias chinois se prennent de passion pour cette folle histoire de parenté chamboulée. Les familles Zhao et Sun jouent le jeu de la publicité – on les voit même sur le plateau de la télévision centrale CCTV – car elles espèrent trouver ainsi les pièces manquantes du puzzle : les vrais parents de Zhao Da et le vrai fils des Sun. L’affaire intéresse aussi les studios de Changchun, qui travaillent sur le script d’une série télévisée qui s’intitulera « Les liens du sang ».
Un groupe de travail composé de diverses administrations s’attèle parallèlement à mener l’enquête. On identifie sept familles dont les enfants sont nés ce fameux 29 octobre 1981 à « l’hôpital du peuple ». Certaines restent introuvables, d’autres refusent de se soumettre aux tests de parenté.
A ce jour, Zhao Da n’a toujours pas retrouvé son vrai père. (Source : Le Monde du 18/06/2002)